Old School / New School

A l’aube des années 80, le rap essaime dans les autres quartiers de New York, à commencer par Manhattan. En témoigne l’expérience du Roxy, ce lieu mythique de Manhattan où vont se croiser, pendant quelques années, les meilleurs du hip-hop et les branchés de Downtown. En juin 1982, au coin de la 10ème avenue et de la 18ème rue dans le quartier de Chelsea, Roxy est le lieu qui va lancer le hip-hop downtown avant son succès planétaire.

Les années 80 voient le rap évoluer profondément. Costumes, styles, paroles, sons, formats (c’est l’époque des premiers albums) vont changer, donnant naissance au concept flou et malléable de New School, renvoyant les pionniers à la préhistoire.

Le passage du style Old School au style New School, se traduit aussi par l’explosion du rap avec des groupes politiques. Les rappers américains tel que Public Enemy ou Run-DMC critiquent le racisme des blancs dans leurs chansons, la majorité des auditeurs sont alors des noirs. Les Beastie Boys commencèrent eux aussi à se faire connaître, prouvant et montrant ainsi que la culture hip-hop était bien un mélange de culture et d’influence noir et blanche.

C’est avec Run-DMC que nait la New School. Le groupe vient de Hollis dans le Queens, New York. Il est composé de Joseph Simmons aka Run (frère de Russell Simmons fondateur du label Def Jam), de Darryl Mc Daniels aka DMC et de Jason Mizzel aka Jam Master Jay. La nouveauté se manifeste premièrement par le changement de style vestimentaire. Finies les parures disco et le look extravagant. Run-DMC revêt des bombardiers en cuir, des jeans Lee et des Adidas sans lacet.

Les années 80 sont aussi marquées par la fin de l’amateurisme. Après le temps des pionniers comme Sugarhill ou Enjoy, de nombreux labels sont créés comme Tommy Boy, Profile, Tuff City, Street Sounds, Celluloïd, Cold Chillin’ ou Def Jam.

Cold Chillin’

Parmi cette multitude de labels qui se créent émerge Cold Chillin’, le label de Marley Marl. A la fin des années 80 il est sûrement le plus grand DJ et producteur, il a en effet dans son écurie des talents aussi bruts que divers sous la forme de rappers devenus aujourd’hui légendaires :

  • Kool G Rap, le premier rapper à incorporer des récits mafieux dans des textes à la violence et au réalisme inégalés.
  • Big Daddy Kane, une voix de baryton aux services de textes mettant en avant une parfaite connaissance de la rue et de ses rouages avec un tempérament belliqueux.
  • Biz Markie, un déjanté au flow hallucinant et auteur des textes les plus imprévisibles tels que « I Need A Haircut » ou « Pickin’ Boogers ».
  • Roxanne Shante, la première femme à avoir une renommée dans tout le pays.
  • Eric B & Rakim, la réunion d’un DJ ingénieux et de celui que les Américains appellent « The God » pour la portée universelle et métaphysique de ses paroles marquant à jamais toute une génération de fans.

Def Jam

Def Jam est fondé en 1984 par Rick Rubin et Russell Simmons. Il tient la dragée haute à Cold Chillin’ en mettant à jour un jeune anglais du nom de Slick Rick dont les paroles laissent une grande place à l’introspection mais aussi aux récits « amoureux ». Def Jam lance aussi LL Cool J, mais c’est surtout grâce à Public Enemy que ce label remporte la mise.

En 1986, Def Jam lance les Beastie Boys, un groupe de musiciens punk rock blancs reconverti dans le rap dont Rick Rubin est le DJ. Titre phare « (You Gotta) Fight For Your Right (To Party) ».

Cette même année, dans un tout autre style, Boogie Down Productions (BDP), composé du DJ Scott LaRock et du MC KRS-One (the « Teacher ») fait sensation avec leur album « Criminal Minded ». Suite au décès de Scott LaRock en 1987, tué lors d’un affrontement qui ne le concernait pas, pour lui rendre hommage KRS-One sort son titre « Stop The Violence » et initie le « Stop The Violence Movement », un mouvement d’opinion relayé par les rappers et destiné à dénoncer le « Black on Black crime »

Premières battles

L’une des plus fameuses battles de l’histoire du rap commence en 1986. MC Shan, du Juice Crew de Marley Marl, écrit « The Bridge ». Ce titre est une ode à son quartier le Queens, où il affirme que le Queens a donné naissance au rap. KRS-One, originaire du Bronx, contre-attaque avec « South Bronx » qui ruine en 5 minutes la carrière de MC Shan. Mais celui-ci répond par « Kill That Noise ». KRS-One met fin à toute ambiguïté avec « The Bridge Is Over ».

De même LL Cool J et Kool Moe Dee vont se battre virtuellement dans leurs titres et leurs clips, le dernier étant particulièrement
jaloux du succès immédiat du premier. Mais jamais aucune opposition n’en viendra aux mains, le respect étant omniprésent de part et d’autre.

Ces épisodes restent connus comme la guerre des rimes, beaucoup moins sanglante que les beefs de la fin des années 90.

Public Enemy

Le groupe Public Enemy est composé de Chuck D, Flavor Flav, Professor Griff, et Terminator X. Il redonne un second souffle au rap en 85-86 en délaissant le côté festif pour dénoncer les inégalités sociales et raciales. Ils font une intrusion radicale dans le rapgame, sur le plan musical comme sur le plan lyrique.

Le premier album s’appelle donc « Yo! Bumrush The Show ». Sous le titre de l’album, un message en boucle : « Le gouvernement est responsable … ». Leur deuxième album, « It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back », sort en 1988 et confirme ce statut de leader radical.

Leur message est très dur vis-à-vis des autorités et des médias. Pour les médias, c’est « Burn Hollywood Burn » qui dénonce les biais et l’image du noir (dealer, drogué ou clown) véhiculée par le cinéma. Dans « 911 Is A Joke », Public Enemy descend en flèche les services d’urgence (911), en particulier pour les noirs et tous ceux qui vivent dans des ghettos. Dans « Black Steel In The Hour Of Chaos », le groupe fait le parallèle entre le système pénitentiaire et l’esclavage.

S’il ne rejette pas le mouvement pour les droits civiques des années 1960, Public Enemy est passé à autre chose. Les années 1980 ont vu le creusement des inégalités et la misère gagner du terrain dans les quartiers déshérités. Public Enemy va donc se poser en leader de la conscience noire revendiquant l’égalité et appelant à la révolution, dénonçant le racisme du pouvoir, de la justice, des médias, thème développé dans leur titre « Don’t Believe The Hype ». Le morceau qui symbolise sans doute le mieux cette dimension sociale et politique est « Fight The Power ».

S’ils s’inscrivent dans la lignée des Last Poets pour la radicalité, Public Enemy est à l’avant-garde du hip-hop sans être isolé.

Premiers procès

Fin des années 80 est une période très turbulente pour le rap qui connaît ses premiers procès pour obscénités et/ou violence et qui voit les stickers avertissant les parents sur le contenu des albums se multiplier sur les pochettes, le fameux « Parental Advisory Explicit Lyrics ».

Ainsi, le groupe 2 Live Crew, adeptes du rap « porno », voit ses titres classées X et interdits de ventes dans certains états. Ice-T, premier rapper à émerger de Los Angeles, voit, lui, le retrait des bacs de son album pour la présence du titre « Cop Killer ».

D’autre part, certains groupes, surfant sur la vague du militantisme enclenché par Public Enemy, sont placés sous la haute surveillance du FBI. On peut citer parmi les plus influents les Poor Righteous Teachers, le X-Clan et Paris, auteur d’un explicite « Bush Killa ».

Premiers rappeurs blancs et latinos

En cette fin des années 80, on voit apparaître les premiers rappeurs blancs ou latinos crédibles, dont les principaux sont :

  • Cypress Hill : Groupe composé de B-Real, DJ Muggs, Sen Dog, Mellow Man Ace et Eric Bobo
  • 3rd Bass : Groupe composé de MC Serch, Pete Nice et DJ Richie Rich
  • Beastie Boys : Groupe composé de John Berry, Mike D, Kate Schellenbach, MCA et Ad-Rock
  • Kid Frost

Premier succès féminin

Si le premier titre rap exclusivement féminin est « Rap Vicious » de Paulette Tee et Sweet Tee en 1978, il faut attendre 1986 pour voir l’apparition d’un groupe exclusivement féminin les Salt N’Pepa. Leur premier album « Hot, Cool & Vicious » s’impose comme un énorme succès, avec deux millions d’unités écoulées, grâce à des singles de qualité tel que leur tube « Push It ».

Native Tongues

Le plus gros choc de cette période vient de la réunion de quelques groupes sous la bannière des Native Tongues. Ce collectif, réunissant A Tribe Called Quest (Q-Tip, Phife Dawg, Ali Shaheed Muhammad, Jarobi White et Consequence), De La Soul (Posdnous, Trugoy et Maseo), Jungle Brothers (Mike Gee, Afrika Baby Bam et DJ Sammy B, Monie Love, Queen Latifah, Black Sheep (Dres et Mista Lawnge), Chi-Ali, Fu-Schnickens (Chip Fu, Moc Fu et Poc Fu), … et bien d’autres groupes, se démarque par un afro-centrisme « bon enfant » et des récits à la poésie abstraite et au positivisme quasi psychédéliques qui firent penser à l’époque à un revival hippie.

Autres groupes influents de cette période

  • Gangstarr, symbole de l’alliance jazz-rap et de l’intégrité rapologique au service de l’éducation des masses
  • Leaders Of The New School au style de rap saccadé, dont le génial Busta Rhymes est membre;
  • Pete Rock & CL Smooth, initiateurs d’un son jazzy maintes fois copié;
  • Main Source, mené par le talentueux Large Professor;
  • Brand Nubian, les messagers de la 5% Nation;
  • Lord Finesse, un rapper / producteur de talent;
  • EPMD accompagné de son Hit Squad (Redman et K-Solo) au Funk sale et ravageur et aux flows hautement innovants;
  • Ultramagnetics MC’S auteurs de morceaux aux sonorités et aux paroles étonnantes et osées.