L’âge d’or du rap

Le milieu des années 1980 est communément désigné comme l’âge d’or du rap. À New York, la guerre des crews se termine. Les crews réunissaient des rappeurs (souvent des dizaines) du même quartier, réunis autour d’un producteur charismatique.

Le plus célèbre était le Juice Crew de Queensbridge, emmené par le célèbre Marley Marl à qui est attribuée l’invention du sampling (échantillons extraits d’autres morceaux puis inclus dans les boucles). Le Juice Crew a fait de nombreux beefs avec les lyricists des autres quartiers. Par exemple, KRS-One, du South Bronx, a défié le Juice Crew par chansons interposées dont le célèbre « The Bridge is Over » qu’il est venu chanter devant eux dans une salle de Queensbridge.

L’âge d’or, c’est donc l’émergence à New York des duos DJ/MC comme Gang Starr (DJ Premier et Guru), Eric B & Rakim ou Pete Rock & CL Smooth qui continuent l’œuvre de Marley Marl.

En Californie, à Los Angeles c’est le groupe de rap NWA qui fait référence. Fondé par Dr Dre, Ice Cube, Eazy-E, Mc Ren et Dj Yella en 1986, il sévit jusqu’en 1991 après avoir révolutionné le rap. En effet, alors que le rap new-yorkais produit un rap teinté de soul et de jazz à tendance consciente, les NWA créent le gangsta rap, musicalement très inspiré du p-funk. Il s’agit de raconter leur vécu : les violences policières, les guerres de gangs, et de représenter leur ville Compton.

Leur album « Straight outta compton » est classé comme un monument du hip-hop. Ce groupe permet à la scène rap de la côte ouest d’avoir une visibilité médiatique. Cela est plutôt réussi puisque jusqu’au milieu des années 1990, le rap de Los Angeles domine l’actualité hip-hop (avec les premiers albums solos de Dr Dre en 1992, de 2pac en 1991, de Snoop Dogg en 1993, Tha Dogg Pound composé de Daz Dillinger et Kurupt en 1995, etc.) pendant toute cette période avec le Gangsta rap et le G-funk.

Mais le rap de l’Est ne baisse pas les bras en sortant des albums de rap pendant cette même période. Se font connaître des artistes issus du Juice Crew comme Nas avec « Illmatic » en 1994, Mobb deep (The Infamous en 1995), le Wu Tang Clan en 1993 avec « Enter the Wu tang 36th Chambers », The Notorious B.I.G. en 1994 avec « Ready to die ».

New York produit un rap bien plus sombre faisant le récit de la dure réalité des rues du Queens, du Bronx et de Brooklyn. C’est Puff Daddy qui révolutionne une nouvelle fois le rap new-yorkais en mettant un peu de fête et en samplant de la funk qui permet à Notorious B.I.G. d’avoir une énorme couverture médiatique et de rivaliser avec les rappeurs de Los Angeles.

Il s’ensuit d’ailleurs une guerre entre l’Est et l’Ouest des États-Unis due à la rivalité entre 2Pac et Notorious B.I.G.. Celle-ci se termine par la mort prématurée des deux protagonistes, assassinés en 1996 pour le premier et en 1997 pour le second. Cette date marque la fin d’une époque pour le hip-hop.

Au début des années 90 c’est la véritable naissance du rap dans l’esprit plus revendicatif où les textes prennent une importance capitale. Le style musical évolue aussi et on assiste à la naissance des monstres sacrés comme le Wu-Tang Clan, Dr Dre, Snoop Dogg, NWA.

En 1995-96, le rap américain change définitivement avec des artistes comme 2Pac, Notorious BIG, Coolio, KRS One, LL Cool J puis les Fugees, Nas, Jay-Z et la création de labels très puissants comme Death Row ou Def Jam.

En 1997-98 le mouvement hip-hop a bien évolué, le graph et la danse ont presque disparu, les compétitions aussi et les textes sont plus revendicatifs, construits et parlent de la vie quotidienne. On assiste à une véritable explosion de rap dans le monde.

En 2000, il devient facile de faire du bon rap, les portes sont ouvertes, les anciens ont créé des labels pour produire les nouveaux et le rap est la musique la plus appréciée chez tous les jeunes. Le rap commercial disparaît et les rappeurs sont de plus en plus indépendants. Le rap est populaire dans le monde entier.

Un jeune rappeur qui a le sens des affaires monte un label, Ruthless Records, avec des fonds d’origine mystérieuses – vraisemblablement le deal de drogue – et sort l’album du groupe dont il est l’une des vedettes. L’homme se fait appeler Eazy E et son groupe est « Niggers With Attitude », ou plus simplement NWA. Le monde va désormais entendre parler d’une nouvelle sous-division rapologique : le Gangsta Rap. Les récits de drive-by-shooting (assassinats de gangsters rivaux à l’arme automatique depuis une voiture) ou de deals dans les rues de L.A. vont devenir la nouvelle norme d’un rap musicalement plus mélodique et accessible que celui de New York, mais textuellement plus menaçant. Dr. Dre en est l’architecte sonore, empruntant à tout va des échantillons des disques de George Clinton. Le détonateur pour NWA est le titre ‘Fuck The Police’ où ils s’en prennent aux forces de l’ordre qui multiplient les bavures et les délits de faciès dans les quartiers noirs.

Boycotté par les radios, NWA vendra quand même plusieurs millions de ses albums jusqu’à une séparation qui donnera lieu à des carrières solos couronnées de succès pour chaque membre (Ice Cube, MC Ren, Eazy E jusqu’à sa mort des suites du VIH…).

Dr Dre sera lui le membre le plus chanceux de NWA avec la découverte de Snoop Doggy Dogg, un rappeur à la diction paresseuse et aux textes à la fois humoristiques et durs qui séduiront l’Amérique entière et amèneront le label monté par Dre, Death Row, à devenir la Motown rap du début des années 90. The Dogg pound, Warren G et d’autres profiteront de leurs affiliations à ce label pour lancer leur carrière; toujours dans un registre faisant fortement référence aux gangs. D’autres artistes feront encore parler d’eux comme MC Eiht, DJ Quik, ou encore dans un style moins mélodieux Cypress Hill, Funkdoobiest, House Of Pain et Coolio qui connaîtront un succès international…

Issu de cette vague, un artiste sort du lot et s’impose comme un modèle et aussi un « sex symbol » pour de nombreux jeunes en manque d’idéal. Cultivant une image à double facette entre un côté « lover » – qui a engendré des perles tels que ‘Dear Mama’ et ‘Keep Ya Head Up’, véritables odes aux femmes fortes – et un côté « Bad boy » – à l’origine de titres comme ‘Fuck The World’ ; 2Pac séduit aussi bien les filles que les garçons et atteint une popularité inégalée. Auteur de titres très introspectifs et obsédé par la mort (‘If I Die Tonight’, ‘Death Around The Corner’, ‘I Wonder If Heaven Got A Ghetto’), il meurt assassiné dans des circonstances mystérieuses en 1996.

Sur la côte Est les seules nouvelles têtes d’affiche sont en effet Redman, Das EFX, Onyx ou Naughty By Nature qui permettent d’apporter une alternative, plus dure musicalement, au Gangsta Rap.

Entre 1993 et 1994, New York qui était au creux de la vague depuis un bon moment connaît une période faste avec la sortie coup sur coup de quatre albums hardcore qui relancent toute sa scène et s’imposent comme des classiques du genre: « Ready To Die « de The Notorious B.I.G, « Enta Da Stage » de Blackmoon, « Illmatic » de Nas et « Enter The Wu-Tang » du Wu-Tang Clan. Derrière eux, apparaissent de nombreux autres MC de talent: Mobb Deep, Jaÿ-Z, Fat Joe, Jeru Tha Damaja ou O.C.

En l’espace de quatre ans, de 1993 à 1997, le Wu-Tang Clan envahit progressivement les bacs et impose son emprise sur toute la musique. Ce posse de neuf rappeurs, aux personnalités très différentes, autour duquel gravite plus de 30 groupes. Sous la direction du producteur-interprète The RZA, ces artistes s’inspirent de l’imagerie kung-fu, retournent à un hip-hop dur et sans concessions au son old school minimaliste et aux paroles sans équivalent et prennent en main leurs affaires et leur contrat en affirmant leur indépendance artistique. Un par un, les rappeurs du Clan sortent leurs albums solos dominant peu à peu le marché et devenant de vraies superstars.

Les labels Rawkus et Loud renouent avec la qualité des sorties de l’âge d’or en ne proposant que des produits au contenu artistique irréprochable. Les chefs de file de ce mouvement, remettant le maxi vynil au goût du jour, ont pour noms Company Flow, Mos Def, Reflection Eternal, All Natural, Jurassic 5, Dilated Peoples, Ras Kass ou Mike Zoot.

Par ailleurs, les femmes se font plus présentes sur le devant de la scène avec les succès des « vétérans » Queen Latifah et MC Lyte et avec l’émergence de nouvelles rappeuses plus que sexy et prêtes à tout pour le succès telles que Foxy Brown, ou Lil Kim.

Fin des années 90, les albums et le succès artistique et parfois commercial de vétérans tels que LL Cool J, Gangstarr, Brand Nubian, EPMD et Rakim ont prouvé que les puristes savaient ne pas oublier les grands artistes de leur musique, tant que ceux-ci savaient garder leur intégrité et se remettre au goût du jour.